L'Entretien Nº

2

Chantal Mouffe

Démocratiser la démocratie

Chantal Mouffe

C’est l’une des philosophes les plus inventives, les plus provocatrices en Europe. Loin de la bien-pensance néo-marxiste, elle ne croit pas aux lendemains qui chantent mais ne perd pas pour autant espoir que la souveraineté du peuple puisse, de nouveau, se faire entendre. Sa philosophie politique s’alimente autant à la pensée antique qu’à Kant, à Carl Schmitt et Jacques Rancière. Elle puise aussi dans l’anthropologie et l’observation active de ce qui se passe en Grèce avec Syriza et en Espagne avec Podemos, dont elle est – avec son époux le philosophe Ernesto Laclau – l’inspiratrice. Constatant la montée inéluctable des populismes en Europe et maintenant outre-Atlantique, elle évoque des pistes bien concrètes pour y résister.

Extrait

Vous êtes philosophe, vous êtes auteur de très nombreux livres. Le premier livre, qui n’a pas encore été traduit en français, était consacré à Gramsci et à la théorie marxiste. De vous en français, il y a quelques ouvrages : Le Politique et ses enjeux, Quelle citoyenneté pour quelle démocratie, Hégémonie et stratégie socialiste : vers une politique démocratique radicale, Agonistique. Penser politiquement le monde. On vient de publier Le Paradoxe démocratique et L’Illusion du consensus. On parle beaucoup de vos théories aujourd’hui mais cela fait très longtemps que vous travaillez la théorie politique, que vous enseignez en ce moment même à l’université de Westminster. Je voudrais savoir dans quelle atmosphère intellectuelle vous avez été éduquée. Vous étiez une libertaire, vos parents l’étaient aussi ?

C M : Non, en fait mes parents étaient issus de la bourgeoisie catholique belge mais libérale. J’ai fait mes études de philosophie à l’université de Louvain ; à cette époque-là, j’étais déjà assez active politiquement, j’ai fait tout sauf étudier la philosophie, à dire vrai. J’étais présidente de l’Association des étudiantes de Louvain et puis je faisais aussi un peu de journalisme étudiant. J’étais la rédactrice en chef du journal des étudiants, L’Escholier, et j’avais fondé avec un groupe d’amis un journal radical de gauche qui s’appelait Parole. J’ai fait une thèse de licence à Louvain sur Lukács car je m’intéressais au marxisme hétérodoxe. Après je suis venue en France dans l’intention originelle de faire un doctorat à l’Ecole pratique des Hautes études avec Lucien Goldmann. Mais finalement je suis tombée sous la coupe d’Althusser. C’était l’époque où il y avait « Lire Le Capital », le fameux séminaire d’Althusser… Nous, on était les petits jeunes, on allait l’écouter. On avait fait un petit groupe avec des gens comme Benny Lévy, Robert Linhart et on lisait Le Capital sous
la direction d’Althusser. J’ai abandonné l’idée de faire mon doctorat et je me suis préparée à aller travailler en Amérique latine.

© Marco Mertens