Extrait

Nous sommes à Paris, boulevard Saint-Germain, un soir d’automne : à la Brasserie Lipp, la foule qui sort des théâtres se débarrasse de ses fourrures et de ses écharpes tandis que les garçons en habit noir et tablier blanc jusqu’aux chevilles esquissent les figures d’un ballet avec en équilibre sur leur plateau : choucroutes, andouillettes et harengs à l’huile. Des pancartes indiquent qu’on ne peut nourrir les chiens à table et que la maison n’accepte pas les chèques. Au plafond, les anges aux couleurs jaunies par la fumée des cigarettes ont l’oeil fixé sur les panneaux de mosaïque où des cacatoès volettent au milieu de palmiers et de figuiers de Barbarie. Bravant les interdits, un minuscule chien halète sur la banquette de moleskine rouge. Dans les miroirs qui couvrent les murs, tout se multiplie jusqu’à la mise en abyme ; entre les fines colonnes et les séparations en verre, nul endroit où poser son regard sans voir l’une ou l’autre d’une infinité de versions de soi-même.