Feuilleton Nº

22

Amitié éternelle

Extrait

Par sa chronologie, par ses personnages et par de nombreux détails, ce récit est une histoire vraie. Son écriture a été rendue possible pas plusieurs années d’enquête auprès d’anciens photographes du régime d’Enver Hoxha [1944-1991] et par l’exploration des fonds photographiques de la période communiste en Albanie. Anouck Durand n’a pas seulement cherché à raconter une histoire à partir d’images glanées dans l’immense production photographique de l’époque. Elle s’est livrée à la mise en images d’un récit entendu à plusieurs reprises, dans des versions différentes mais convergentes qu’elle a entrepris d’assembler et auxquelles elle donne un sens. Ce récit est bien sûr aussi en partie une fiction : le narrateur, Refik Veseli, est mort en 2002 et n’a pu confier sa propre version à Anouck Durand. Quant aux images, elles n’étaient pas destinées à se côtoyer dans un même récit et racontaient, pour la plupart, d’autres histoires.

De 1961 à 1972, des photographes albanais ont effectivement été envoyés en Chine pour des séjours de formation à la photographie couleur. Dans le même temps, pourtant, des pellicules Kodak étaient importées en Albanie, permettant ainsi l’introduction de la technologie couleur contemporaine dans la propagande et dans les usages privés des familles dirigeantes. Si bien que, comme le rapportent les personnages de l’histoire, le procédé chinois adapté de l’ancienne méthode de trichromie n’a jamais été mis en application par les photographes albanais. C’est donc à un moment particulier de l’histoire de la photographie albanaise – celui d’une tension entre l’attrait de la technologie occidentale et la fidélité idéologique à l’allié chinois – que se déroule le récit d’Amitié éternelle.

Gilles de Rapper

© Éditions Xavier Barral, Anouck Durand, 2014