traducteur
Jérôme Orsoni
illustrateur
Vahram Muratyan

Affublé du costume du Diable, taillé sur mesure par des adversaires qu’il désigne comme les tenants de la “pensée unique”, Jean-Marie Le Pen a volontiers endossé au cours de sa carrière le rôle de trublion de la politique française. Au point d’en faire son fonds de commerce. Jouant avec la mémoire nationale et ses apories, il a ainsi réussi à polariser le débat public, tout en y imposant ses thèmes de prédilection. Lorsque la France ressemble à un navire qui prend l’eau, le président du FN se plaît à rêver d’un destin de capitaine. Retour sur les prémices du phénomène, avec la publication inédite en France d’un article de Philip Gourevitch datant de 1997.

Extrait

Jean-Marie Le Pen est le fils d’un pêcheur breton. Il est né en 1928 dans une maison sans eau courante ni électricité et bien qu’il vive désormais dans une luxueuse propriété qui surplombe Paris, il aime à pimenter son discours de sagesse nautique. Le mois dernier, par exemple, il m’a dit : “Quand votre bateau est plein d’eau, la première chose à faire, c’est boucher le trou par où il prend l’eau.” Nous parlions d’immigration. Le Pen, fondateur et président du Front National, pense que la France est submergée d’étrangers. Une fois le trou bouché, ajouta-t-il : “Vous essayez de vider le bateau pour qu’il soit à nouveau en état de marche.” En fait, durant des siècles, la France a été le canot de sauvetage de l’Europe, accueillant les naufragés politiques, intellectuels et artistiques qui fuyaient des régimes nationaux moins tolérants. En récompense, elle jouissait du privilège de voir une partie considérable de l’élite culturelle et intellectuelle du Continent s’installer à Paris. Mais ce n’est pas cette France que le Front National espère écoper et remettre en état de marche derrière son slogan : “La France et les Français d’abord.” Comme le dit Samuel Maréchal, le beau-fils de Le Pen et chef du Front National de la Jeunesse : “La France n’a plus les moyens de nourrir tous les tordus du monde.”

The Unthinkable a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Jérôme Orsoni. Le texte a paru pour la première fois dans le New Yorker en avril 1997. © 1997, Philip Gourevitch / The New Yorker.