À la recherche du silence

auteur
Alex Ross
traducteur
illustrateur
Chad Hagen
A la recherche du silence

John Cage, au cours du XXe siècle, a replacé la pratique de l’art musical au sein d’un espace nouveau afin que le monde redevienne lui-même matière à expérimentation. Son œuvre, protéiforme, apparaît ainsi comme une tentative sans cesse réitérée de faire advenir l’inentendu, à l’endroit même où l’on ne l’attend pas. Près de vingt ans après sa mort, le critique musical américain Alex Ross s’interroge sur la réception de l’œuvre d’un artiste qui n’a prêté l’oreille au Silence que pour mieux habiter la vie.

Le 29 août 1952, David Tudor monta sur la scène du Maverick Concert Hall, près de Woodstock, dans l’État de New York, s’assit au piano et pendant quatre minutes et demi ne produisit pas un son. Il interprétait “4’33””, une œuvre conceptuelle de John Cage. On l’a baptisée le “morceau silencieux”, mais son objectif est d’inviter les gens à écouter. “Le silence n’existe pas, dit Cage au souvenir de la première. On pouvait entendre le vent souffler au dehors pendant le premier mouvement. Pendant le deuxième, des gouttes de pluie se sont mises à crépiter sur le toit et pendant le troisième, l’auditoire lui-même produisit toutes sortes de bruits intéressants en parlant et en quittant la salle.”

De fait, certains membres de l’auditoire n’avaient que faire de cette expérience, quoiqu’ils aient épargné leurs protestations les plus retentissantes pour la session questions-réponses qui s’ensuivit. On rapporte notamment que l’un d’entre eux lança : “Bonnes gens de Woodstock, boutons ces gens hors de la ville !” La mère de Cage elle-même nourrissait quelques doutes. Lors d’un concert ultérieur, elle demanda au compositeur Earle Brown : “Sérieusement, Earle, vous ne trouvez pas que John est allé trop loin cette fois-ci ?”

Ce texte a paru pour la première fois dans le New Yorker en octobre 2010. © Alex Ross, 2010